Quand le cinéma français montre les « cités »…

A partir des années 90, le cinéma français commence à représenter les quartiers périphériques des grandes villes, jusqu’ici largement invisibilisés. La sortie sur les écrans de chaque film s’est accompagnée (souvent) de polémiques ou de batailles critiques passionnantes. Au cours du premier trimestre, les élèves de Terminale CAV ont réfléchi à ce que signifie l’engagement critique au cinéma. Et se sont essayés tout naturellement à cet exercice difficile à travers l’étude de deux longs-métrages obligatoires (Les Misérables de Ladj Ly et BAC nord de Cédric Jimenez) et de deux autres facultatifs (La Haine de Mathieu Kassovitz ou Athena de Romain Gavras).

De quoi est-il question ?

Athena est un drame policier de Romain Gavras sorti en 2022. Romain Gavras est le fils de Costa-Gavras, un cinéaste qui dénonce dans ses films la corruption et/ou le totalitarisme des lieux de pouvoir. On retrouve cela dans Athena. Il met en avant une demande de justice en condamnant les responsables de la mort d’un jeune. Le frère de la victime, militaire en Syrie, revient et essaie de calmer le jeu. Mais les habitants veulent « les noms des condés » qui auraient tué. Le quartier entre en insurrection, dont l’un des meneurs est un autre frère du jeune tué. Dès le début les jeunes s’emparent des armes dans un commissariat qu’ils incendient. C’est en fait un film de guerre. Tirs et cris, le jour comme la nuit. Des assauts, « l’évacuation » des habitants « non-combattants », des moyens militaires dans la police et la guérilla dans les blocs.

BAC nord est un drame policier, inspiré d’une histoire vraie, réalisé par Cédric Jimenez, datant de 2021. Ce film relate la vie de trois policiers dans les quartiers Nord de Marseille. Ces quartiers ont le taux de criminalité le plus élevé de France. Poussés par leur hiérarchie (préfet qui demande des chiffres, lui-même « piloté » par le ministre de l’intérieur), les policiers de la BAC cherchent à améliorer leurs résultats et à coincer les dealers travaillant pour des gangs ultra-organisés. Les trois policiers passent de nombreuses heures à surveiller les délinquants. Ils travaillent régulièrement avec des indics, ils n’hésitent pas à user de violence, menaces, chantage pour parvenir à mener à bien leurs missions. Leurs méthodes ne sont pas légales (racket, vol de stupéfiant, violence…) mais validées par leur hiérarchie jusqu’au jour où intervient la police des polices. Ils sont alors emprisonnés et non soutenus par leur chef.

Les Misérables est aussi un drame policier réalisé par Ladj Ly et sorti en 2019. Ce film décrit la découverte d’un policier arrivé de Cherbourg dans le 9.3 (Seine-Saint-Denis). Il intègre la Brigade Anti-Criminalité. Il fait la connaissance de ses deux co-équipiers et découvre la banlieue. Il fait connaissance des habitants, de la vie de la cité (le marché, l’aide des médiateurs…) des jeunes mais aussi des tensions qui entre groupes. Il découvre les problèmes de prostitution, de délinquance juvénile et la manière dont les adultes gèrent la cité. La religion a une grande place et sert de morale aux jeunes. Tout se passe plutôt bien jusqu’au moment où des jeunes du quartier volent le lionceau d’un cirque et l’amènent dans la cave d’un immeuble. L’interpellation du jeune se passe mal, il est blessé par un tir de flash-ball. La bavure filmée par un drone amènent les 3 policiers à faire face à la colère, la rage des jeunes de la cité qui organisent un guet-apens pour se venger. Une émeute éclate.

Analyse de la représentation des cités à travers les trois films.

Ladj Ly, le réalisateur des Misérables, est un enfant de la cité (celle des Bosquets à Montfermeil, d’où le lien avec le livre de Victor Hugo). Il est d’origine malienne et a grandi dans la banlieue. Il est issu du collectif du « Kourtrajmé » auquel on associe aussi Romain Gavras. Ce qui qu’il est aussi le co-scénariste d’Athena. La description de la vie dans les banlieues qu’il réalise dans son film peut être réaliste car elle reproduit sur l’écran ce qu’il a vécu en étant enfant. Les Misérables apporte un regard critique avec les bavures policières, les justifications non valables et les policiers payent cher pour leurs erreurs.

La banlieue est délabrée, l’intérieur des tours tagués, insalubres. Les logements sont des blocs, l’ascenseur est souvent en panne, le parc à jeux ou le terrain de foot pleins de détritus… on peut voir que la banlieue est habitée par des adultes et des jeunes. Il y a le monde de adultes et celui des jeunes. Les deux s’opposent sur certains points, la manière de parler, le respect… On y voit des adultes (notamment un ancien dealeur devenu imam) qui font la morale aux jeunes et qui essaient de les amener à fréquenter la mosquée.

Les habitants s’organisent (système de solidarité pour des prêts d’argent, la tontine par exemple), nomination d’un « Maire », surveillance des jeunes par les religieux. Tout le monde se connaît. Les jeunes s’amusent comme ils le peuvent (descente sur un dossier de fauteuil pour faire du skate) ou organisent des matches sur le terrain de foot au pied des immeubles. Les filles et les garçons ne vivent pas les mêmes choses et s’affrontent de temps en temps (vidéo du drone voyeur). Dans le film, les jeunes de la banlieue sont des garçons, on ne voit pratiquement pas les filles. Des problèmes de prostitution et de drogues existent, mais ne sont pas mis en évidence.

Les policiers (deux blancs et un black montrent la mixité ethnique dans la police) sont très proches des habitants. La relation qu’ils ont avec les jeunes peut être amicale, agressive ou provocatrice voire « raciste » (filles qui attendent le bus et sont agressées par un des policiers)

La relation entre les jeunes et les adultes de la cité n’est pas simple : le film montre, en effet, des violences éducatives (le père qui jette une chaussure sur Issa quand il a volé la poule, le propriétaire du lionceau qui amène Issa dans la cage aux lions pour lui faire peur, les adultes qui ne s’occupent d’Issa quand il est blessé par le tir de flash-ball…). Issa est représentatif de certains jeunes, victimes de violences et traumatisés par l’indifférence et l’inconscience des adultes et des policiers. Les adultes font la loi (chacun la sienne) et les jeunes subissent jusqu’au jour où ils se révoltent avec violence. Le film montre que la violence des jeunes dans les banlieues n’est pas gratuite et que la paix sociale ne tient qu’à un fil. On passe de jeux de gamins (vol de poule, de lionceaux) à une embuscade tendue aux trois policiers.

Alors qu’il s’ouvrait sur des plans d’une foule en liesse au moment de la victoire de la France à la Coupe du monde de foot en 2018 (le genre d’événement qui fait oublier, pour un temps, les fractures socio-spatiales de la France), le film termine par une citation de Victor Hugo dans Les Misérables : « Mes amis retenez bien ceci, il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que de mauvais cultivateurs ». Le problème de la violence des jeunes dans la banlieue est un problème d’éducation et de relation aux jeunes.

On retrouve plus ou moins cela dans Athéna qui montre que les jeunes de banlieue en arrivent à des violences extrêmes pour en finir avec l’impunité des violences dont ils sont victimes. Dans Athena on voit une cité labyrinthique faite de tours, de dalles et de caves. C’est du béton tagué. La population est d’origine étrangère (blacks et beurs) comme dans Les Misérables. Les jeunes de la cité sont victimes du racisme et de la représentation stigmatisée des jeunes issus de l’immigration. Les personnages sont quand même un peu stéréotypés, vus « de l’autre côté du périph’». Dans le film de Ladj Ly, grâce aux plans filmés par drone, la cité est envisagée comme un piège où l’enfermement des habitants sont un élément du tragique de leur condition.

La violence de ces jeunes est une révolte contre cette condition et contre le racisme, l’un d’eux a été tué par des gens de l’extrême droite qui se font passer pour des policiers. Pour se venger ils incendient un commissariat, volent des armes et organisent leur défense dans la cité. L’émeute est réprimée par la police. La banlieue se transforme en territoire de guerre. Dans ce film, les jeunes sont perçus comme victimes qui demandent justice parce qu’ils ne peuvent pas compter sur le système. Ils finissent par perdre. La fin montre une oppression des jeunes à travers une scène tirée de la réalité. Ils sont à genou humiliés entourés de policiers armés.

Pour BAC nord, le réalisateur s’inspire d’un fait réel qui a fait la une des journaux, la corruption de trois policiers de la BAC à Marseille. La banlieue est aussi délabrée que dans les autres films, les seuls habitants que l’on voit sont cagoulés et sont des dealers. On y voit la banlieue comme un lieu d’organisation de trafic de drogue en conflit avec la police.

BAC nord montre essentiellement les conflits entre les dealers et la police. Les jeunes sont inexistants, les problèmes qu’ils rencontrent ne sont pas mis en évidence. BAC Nord montre des policiers plus attachants, on voit leurs réactions, leurs sentiments, les raisons de leurs actes. La banlieue est vue comme une zone de non droit, ou la police ne peut pas entrer, sans perspective de médiation. C’est un lieu dangereux, violent et sous la main mise des dealers. Une jeune indic la décrit comme une zone de guerre : Beyrouth. Le quartier dans BAC Nord appartient aux trafiquants, même les policiers doivent passer par des points de contrôle. La trame se concentre sur la vie des trois policiers de la BAC qui travaillent régulièrement avec des indics, et n’hésitent pas à user de violence, menaces, chantage pour parvenir à mener à bien leurs missions. Leurs méthodes ne sont pas légales (racket, vol de stupéfiants, violences…), mais validées par leur hiérarchie jusqu’au jour où intervient la police des polices. Ils sont alors emprisonnés et abandonnés par leur supérieur hiérarchique.

Les trois films montrent des représentations de la cité à partir de points de vue différents. Dans Les Misérables, on voit la vie quotidienne d’une banlieue parisienne à travers la vie des jeunes et leur bêtise naïve jusqu’au moment de la bavure policière. C’est un déclencheur d’émeute. Dans Athena, c’est l’oppression et le sentiment d’injustice qui est montrée. On y voit aussi l’extrême-droite jouer un rôle. Dans BAC Nord, le point de vue est centré sur « la guerre » entre les dealers et la police selon les codes et le montage des films d’action : le film peut être alors envisagé comme une sorte de western urbain.

Finalement dans ces films la représentation est l’action de la police dans les cités. Il y a « bavure » ou meurtre, et une émeute se déclenche. Deux des trois films montrent et dénoncent la représentation stigmatisée des cités, le rôle de la police y étant au premier plan et celui des institutions qui les dirigent.

Simon Fournier-Ouahab, Terminale Neith

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