Rafiki, carton rouge au Kenya, tapis rouge à Cannes

« Le cinéma est un outil politique, et c’est mon art, mon travail ». Voilà ce qu’affirme Wanuri Kahiu à propos du métier qu’elle exerce. Elle est une réalisatrice kenyane et Rafiki est son deuxième long métrage sorti en 2018. C’est une adaptation d’une nouvelle Jambula Tree de l’autrice ougandaise, Monica Arac de Nyeko et il a reçu le prix « Un certain regard » au festival de Cannes en 2018. Malheureusement, comme l’a rappelé Télérama, Rafiki, ovationné à Cannes, a été interdit à Kenya. En effet, il a beau avoir été acclamé par les plus renommés, il a été censuré dans son pays d’origine en raison du traitement de l’homosexualité, condamné fermement dans ce pays d’Afrique orientale.

              Avant d’être une condamnation de l’homophobie ambiante au Kenya, Rafiki est d’abord un teen movie qui rappelle que l’amour n’obéit à aucune règle et reste compliqué à assumer et à garder. En ce sens, on peut voir dans Rafiki, l’influence de l’une des histoires d’amour les plus célèbres de tous les temps, Roméo et Juliette de William Shakespeare. Kena est une lycéenne qui vit à Slopes, un des quartiers de Nairobi, la capitale du Kenya. Elle est la fille d’un petit commerçant qui est également candidat à l’élection pour être maire. Son concurrent, Peter Okemi, n’est autre que le père de Ziki dont Kena tombe follement amoureuse.

              Grâce à cette histoire (dont certains aspects sont un peu convenus et n’évitent pas quelques clichés ou ne s’attardent pas vraiment sur les personnages secondaires), la réalisatrice parvient à créer une bulle et à toucher le spectateur en prenant le temps de construire l’histoire d’amour naissante entre les deux jeunes femmes. On est surtout impressionné par le travail de la réalisatrice (et de ses collaborateurs) sur le traitement des couleurs. Vives et joyeuses, elles inondent l’écran à une époque où, au contraire, les couleurs ont tendance à s’évaporer pour laisser place à une colorimétrie plus sombre à l’image des séries ou des films de super-héros hollywoodiens. Non seulement c’est un régal pour les yeux, mais derrière chaque couleur se cache une signification. C’est notamment le cas pour les personnages principaux. Prenons l’exemple de nos deux héroïnes : Kena porte essentiellement du jaune qui affirme sa forte personnalité, son aspect solaire et un garçon manqué. S’agissant de Ziki, le rose ou le bleu pastel s’imposent largement dans sa coiffure, ses vêtements, son maquillage ou ses ongles, accentuant ainsi son côté « girly ». Les couleurs donne des clés pour mieux connaître les personnages. Ces couleurs sont aussi celles du drapeau LGBT, des tissus wax, ou encore du drapeau panafricain, symbole de la libération du continent africain et des Noirs en général.

              Le film fait découvrir au spectateur une société que l’on connaît finalement peu en France. Et brise du même coup quelques clichés sur l’Afrique minée par les guerres, la maladie ou la famine. Instigatrice du mouvement de l’Afrobubblegum, Wanuri Kahiu dit avoir voulu « montrer une image colorée, joyeuse, et chargée d’espoir de mon pays et de l’Afrique ». Les trois langues parlées dans le film accentue cette immersion : même si l’anglais est principalement utilisé (en raison de la colonisation du pays par la Grande-Bretagne entre 1920 et 1963), il y a aussi le swahili (l’autre langue officiel du pays) et le « sheng » (argot mêlant swahili et anglais).

              Au final, le film embarque le spectateur par l’idée qui s’en dégage après la fin de la projection : il ne faut jamais baisser les bras et toujours continuer à avancer malgré les embûches qui se présentent sur notre route. Ce message résonne d’autant plus fort quand on sait les difficultés qu’a rencontrées la réalisatrice pour que Rafiki voit le jour. Et même si le chemin est encore long, le film contribue aussi à améliorer la visibilité des personnes LGBT, pendant très longtemps invisibilisées dans les productions cinématographiques. « Qui aurait cru que l’amour était une forme de rébellion ?», c’est la question que pose une réalisatrice qui incarne de belles valeurs et affirme, grâce à Rafiki, son soutien à une cause juste.

Noëlie Chapus (aidée de Juliette Leblond, Noémie Kohrs et Louis Lombard).

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