Retour aux Amandiers

« J’ai eu soudain l’envie forte, évidente de parler de cette école, de cette époque, et cette histoire d’amour. » Voilà ce que répond Valeria Bruni-Tedeschi lorsqu’on lui demande les raisons qui l’ont poussé à réaliser le film Les Amandiers. Valeria Bruni-Tedeschi est une actrice, scénariste et réalisatrice franco-italienne ayant notamment reçu le César du meilleur espoir féminin en 1994 pour le film de Laurence Ferreira-Barbosa Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel. Les Amandiers est son dernier long-métrage. Sorti en 2022, il plonge le spectateur au cœur des années 1980 et raconte l’histoire de la troupe de théâtre de la célèbre école de Nanterre : les Amandiers, de leur audition à leur première représentation (Platonov d’Anton Tchekhov), à travers le regard de Stella, une jeune femme de vingt ans, double de la réalisatrice.

D’emblée, le spectateur est saisi par la manière d’aborder l’histoire, à mi-chemin entre l’autobiographie et la fiction. On peut penser que ces deux genres s’opposent en tout point et que leur mariage ne ferait pas une belle union mais Valeria Bruni-Tedeschi nous prouve ici le contraire. On définit une autobiographie comme le récit qu’un réalisateur fait de sa propre vie. Certains considèrent qu’une autofiction permet un résultat plus juste, sans artifice, qui peut davantage toucher le spectateur, par rapport à un film dont l’histoire est purement fictionnelle. C’est le cas par exemple du théoricien hongrois Béla Belazs qui déclare « Retenir de façon suivie dans un film les impressions et les expériences vécues d’un être humain. Avoir toujours la caméra à proximité de la main pendant vingt ou trente ans. N’est-ce pas là la possibilité d’un journal intime, d’une autobiographie filmée ? ». D’autres estiment que ce n’est pas un genre très accessible, la consommation de l’autofiction exigeant d’être un spectateur averti, réservant donc l’accès à une infime partie de la population. Lost Lost Lost de Jonas Mekas ainsi que JLG/JLG de Jean-Luc Godard en sont de très bons exemples. Mais dans ce cas précis, dans Les Amandiers, Valeria Bruni-Tedeschi n’a pas hésité à brouiller les pistes entre autobiographie et fiction afin de tirer profit des deux genres, tout en laissant leurs inconvénients respectifs derrière elle. Elle est d’ailleurs elle-même confuse dans la définition du genre de son long-métrage, comme nous prouve cet extrait d’une interview « C’est risqué, parce que si on garde les noms [en évoquant les directeurs de la troupe, Patrice Chéreau et Pierre Roman], ce n’est plus de la fiction… Mais si, c’est quand même de la fiction. » Elle a habilement pris comme point de départ son histoire personnelle, et a injecté, ici et là, des éléments sortant de son imagination. Le côté autobiographique – que l’on retrouve dans le nom de la troupe ainsi que de la pièce jouée ou dans certains personnages – nous emporte dans le souvenir d’une époque, d’années de jeunesse marquées par l’insouciance, mais la fiction – marquée par un mélange de personnages ou un désordre des évènements passés – laisse la liberté de s’écarter un peu de la réalité, de romancer les évènements passés sans pour autant omettre les côtés plus sombres.

De plus, Les Amandiers est un de ces long-métrages dont on ressort grandi-e. Effectivement, derrière le côté exaltant et enivrant de la vie de cette troupe de théâtre, se cachent de nombreux sujets abordés de manière intelligente qui nous touchent profondément. Au travers des personnages, le film nous invite à réfléchir sur l’amour, en particulier l’amour de jeunesse, avec la relation parfois malsaine (toxique ?) entre Stella et Etienne. Autres thèmes conviés : la formation des acteurs, la parentalité et le mariage, les transgressions et les addictions, ainsi que la mort.

Enfin, ce long-métrage permet, durant deux heures, d’être plongé-e dans une bulle hors du temps, coupant le spectateur/la spectatrice complètement de la vie réelle. N’est-ce pas au final l’objectif même du cinéma, et de l’art en général ? Nous faire oublier, quelques heures durant, notre quotidien, pour se glisser dans la peau d’un personnage grâce auquel on peut vivre autant d’aventures que l’on souhaite ? Plusieurs éléments ont permis d’obtenir ce résultat. Tout d’abord, ce film nous fait passer par toute une palette d’émotions, que ce soit le rire, les pleurs, le choc ou encore le désarroi. De plus, on sent qu’il y a eu un vrai travail effectué sur les personnages, qui sont au centre de l’histoire. Ils m’ont énormément touché par leurs imperfections, leurs défauts et leurs erreurs commises. Ceci était également accentué par les nombreux gros plans sur leurs visages. La caméra se focalisait sur leurs expressions, nous donnant l’impression d’entrer dans leur intimité. Lorsque la troupe était au complet, on sentait une alchimie se créer entre eux et on pouvait ressentir l’aspect familial malgré les différends. En outre, on observe un travail au niveau de l’esthétique du film qui nous immerge au cœur des années 1980, grâce aux vêtements, aux musiques intra diégétiques (avec notamment Rita Mitsouko ou Daniel Balavoine), aux décors, au deuil des idéaux et des façons de voir héritées des années 1980 ou de la forte présence du SIDA. Et n’oublions pas le travail sur les couleurs, effectué en collaboration avec le directeur de la photo Julien Poupard, avec un rendu 16 mm par le numérique qui nous donne l’illusion de regarder le film au travers d’un kodachrome, un film inversible couleur qui se caractérise par un contraste important, des couleurs vives et saturées. Enfin, durant tout le film, les transitions entre les plans sont réalisées grâce aux raccords son qui permettent une fluidité du récit, et qui laissent le spectateur bercé par l’histoire…

En bref, je vous conseille vivement de voir ce long-métrage qui célèbre le théâtre d’une époque révolue mais enchanteresse…

Noëlie Chapus, Terminale Neith

L’actrice-réalisatrice (à droite) Valeria Bruni-Tedeschi, et son actrice principale, lors de la conférence de presse à Cannes en 2022

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