Retour du Festival Cinémondes (Part II)

À l’occasion du festival Cinémondes de Berck-sur-Mer, nous avons pu découvrir (pour certains) le cinéma de Maroun Bagdadi, et notamment son film L’homme voilé, sorti en 1987. Une atmosphère très étrange nimbe le film dès la projection, constituée de sous-entendus incestueux et/ou pédophiles, et une vision très réductrice de la femme en général. À la fin du film, bon nombre de question furent soulevées telles que : « Quel âge avait Claire ? », « Quelle était sa relation avec son père ?». Cependant, les réponses offertes par l’ex-compagne du réalisateur, Soraya Bagdadi (actrice dans Les petites guerres), avec qui les festivaliers ont pu échanger à la fin de la projection, n’étaient pas très poussées ni convaincantes par rapport aux thématiques abordées.

L’affiche du film

Pierre Rollin (Bernard Giraudeau), médecin de guerre, revient en France après trois ans passés à Beyrouth. Il a pour objectif d’abattre les responsables d’un massacre (des enfants en partie) dans un village libanais. De retour à Paris, il retrouve sa fille Claire qui, durant son absence n’a cessé de l’idéaliser. Son père lui cache cependant les raisons de son retour. Après avoir tué un des assassins, Pierre se questionne quant au sens de sa vengeance, mais est pressé par son commanditaire d’en terminer avec cette affaire. Kamal, un des meurtriers, connaît l’identité de son tueur et tente de séduire sa fille.

Établissons le contexte : la guerre du Liban commencée au milieu des années 70. Comme pour tout homme, la guerre métamorphose énormément, que ce soit sur le plan physique ou psychologique. Effectivement, le personnage principal (Pierre) part sur le terrain en tant que médecin de guerre, une action que l’on peut qualifier comme étant humanitaire. Cependant, il revient en France avec un désir de vengeance et nous apprenons au cours du film qu’il n’a pas uniquement sauvé des vies mais qu’il a aussi tué, perpétuant ainsi le cycle de la violence dont le Liban ne sortira qu’aux cours des années 90. Donc, le fil conducteur du long-métrage est principalement le désir de vengeance qu’éprouve Pierre mais qui sera remis en question par une introspection qui le pousse à réfléchir au sens véritable de ses motivations. En fait, le film repose sur un « triptyque », un portrait de trois hommes (trois facettes du même ?), le commanditaire (Michel Piccoli), Pierre (Bernard Giraudeau) et Kamal (Michel Albertini) qui sont liés par un même événement : le massacre d’un village libanais. Cette guerre est toujours présente, mais hors champs, elle est notamment suggérée par la viande rouge vif présente dans la boucherie des Libanais venus s’installer en France. Cette métaphore sanglante traduit les milliers de morts et la brutalité de ce conflit armé. Ainsi ce contexte de guerre change (radicalement) le protagoniste qui apprend à se connaître et qui n’est finalement qu’un homme subissant la violence de celle-ci et pensant faire ce qui est juste.

Aucune frontière, aucune limite ne sont posées dans ce film. En effet, que ce soient des frontières géographiques ou des thèmes moralement inacceptables, le long-métrage est d’une authenticité crue. D’une part, la guerre du Liban transpose sa violence aveugle et le cycle de vengeance qui la sous-tend en France. D’autre part, Claire, jeune adolescente, voire pré-ado, idéalise un père absent qu’elle voit alors comme un héros notamment par le métier qu’il exerce. Mais cette image paternelle parfaite est détruite lorsque la jeune fille découvre les horreurs, les meurtres commis par son père. Cependant, les deux membres de la famille entretiennent parfois une relation, disons ambiguë, laissant planer un parfum d’inceste (et auss pédophile), ce qui renforce le malaise éprouvé lors du visionnage du film en plus du contexte de la guerre. À titre d’exemple, Claire va pour apprendre la danse du ventre durant l’absence de Pierre dans un restaurent libanais, puis va faire une démonstration en se dénudant quelque peu devant son père qui la scrute de manière que le spectateur d’aujourd’hui jugera déplacée.

Bien évidemment (ou pas), le film illustre ce male gaze caractéristique de beaucoup de productions des années 80. Effectivement, Claire qui n’a que 14-15 ans va séduire ou être séduite par Kamal, l’ennemi de Pierre, ayant alors déjà entamé l’âge adulte depuis un moment puisqu’il est époux et père. Kamal, lui, a ses raisons concernant cette relation : d’un côté, on pourrait considérer qu’il est réellement attiré par la jeune fille et qu’il explique à l’un de ses collègues qu’il ne pourra jamais goûter à la peau blanche à son tour (après avoir eu un rapport sexuel avec elle). D’un autre côté, Claire pourrait être finalement utilisée comme un bouclier, empêchant ainsi Pierre d’attaquer. Dans les deux cas, la jeune fille est manipulée afin d’assouvir le désir d’un homme. De plus, Kamal dit « Chez nous, quand on veut une femme, on la kidnappe », ce qui montre bien la vision réductrice de la femme qu’illustre le film, reflet d’une époque et du fonctionnement de sociétés profondément patriarcales. La compagne de Kamal, qu’il a abandonné pour une femme plus jeune a, elle aussi, ce désir de vengeance et agrémente ce jeu du chat et de la souris entre Pierre et son ennemi. À contrario, le film Sans toit ni loi d’Agnès Varda, sorti en 1985, présente un nouveau regard posé sur la femme dans le cinéma : le female gaze. Les femmes sont alors représentées comme étant libres (ou à la recherche d’une certaine forme de liberté totale) et comme des êtres à part entière, non pas des objets secondaires permettant de satisfaire les hommes. D’ailleurs, dans le film de Varda, les hommes sont généralement décrits comme étant des pervers, si l’on se réfère à une des premières scènes lorsque des motards observent Mona en train de se baigner et la sexualisent.

Pour finir, je conseille de voir ce film notamment pour la musique de Gabriel Yared qui a été énormément appréciée. En plus d’un film qui n’ennuie pas, il traite de sujets importants tels que la guerre du Liban, mais également l’absence paternelle et ses conséquences. De plus, ce long-métrage nous présente des thématiques taboues aujourd’hui – mais pas forcément dans le contexte des années 70/80 – comme la pédophilie : entre Kamal et Claire, mais également entre Pierre et une des amies de sa fille qu’il va embrasser et déshabiller (le haut du moins). Ainsi, cette vision de l’homme sur la femme (voire sur la très jeune fille), l’expression de ce male gaze est pour le moins intéressant, notamment afin de constater les évolutions qui ont eu lieu dans le domaine du 7ème art.

Noémie Kohrs, TNEITH

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