Once upon a time in Hollywood…

Il n’aura fallu qu’un film à Damien Chazelle pour s’imposer en réalisateur, scénariste et producteur surdoué. Après un fort succès avec le prodigieux Whiplash, le réalisateur franco-américain renoue avec la musique et son obsession pour le jazz avec sa comédie musicale La La Land. Sorti en 2016, le film a depuis eu un succès planétaire en remportant 5 oscars (dont celui du meilleur réalisateur, meilleure musique de film et meilleure actrice), 5 BAFTA et6 Golden Globes.

La La Land, c’est avant tout une histoire d’amour entre Mia (personnage joué par Emma Stone) et Sebastian (interprété par Ryan Gosling). Le film nous plonge au cœur de Los Angeles où l’un est un pianiste passionné par le jazz qui rêve d’ouvrir son propre club tandis que l’autre est une serveuse rêvant de devenir actrice, mais qui enchaîne les auditions déceptives. Les deux se rencontrent dans un embouteillage et une histoire d’amour naît entre les deux artistes. Mais le film ne se résume pourtant pas à une simple romance chorégraphiée et entrecoupée de chansons. Le film s’articule également autour de la volonté et de la capacité à réaliser ses rêves, ainsi que de leur confrontation avec une histoire d’amour. Impossible de ne pas voir une filiation certaine entre La La Land et Whiplash, où le jeune musicien rêve de devenir un batteur de renom et se heurte à un professeur tyrannique, qui lui offre une opportunité tout en ayant de cesse de lui mettre des bâtons dans les roues, confrontant le héros au découragement et aux désillusions. Ici, chacun a ses rêves, et si c’est d’abord leur propre capacité à réaliser leurs propres rêves qui est mise en avant, c’est leur capacité commune à concilier leurs rêves respectifs qui est ensuite développée. La toile de fond montre plus d’une fois dans le film la passion que le cinéaste voue à Hollywood, de West Side Story à Mary Poppins, en passant bien évidemment par Singin’ in the rain, ou alors The Artist avec Jean Dujardin, les références pleuvent sans jamais paraître forcées. Et c’est une réussite indéniable.

La bande originale composée par Justin Hurwitz, ami et ancien camarade du cinéaste à Harvard, est absolument époustouflante. Enivrante et entraînante, elle rythme parfaitement les aventures des deux rêveurs. On retrouve ainsi les codes de la comédie musicale tels qu’on les connait depuis Broadway. La volonté de Sebastian de faire découvrir aux gens le vrai jazz, n’est pas sans rappeler la volonté de Damien Chazelle d’en faire autant avec le genre, à savoir la comédie musicale. Ce dernier est véritablement à la recherche de la perfection. Le spectateur se retrouve plongé entre rêve et retour soudain à la réalité. De la même façon que les amants dans la comédie. Lorsque Seb et Mia se retrouvent seuls avec leurs arts, le film adopte une tournure idéaliste, l’art et l’amour ne faisant alors qu’un. À l’inverse, lorsque l’histoire se centre sur l’amour entre les deux personnages, la réalité reprend ses droits de manière relativement brutale. Tout au long du film, le personnage de Sébastian m’a réellement plus touché que celui de Mia car, passionné par le véritable jazz qui ne trouve plus les faveurs du public, il se retrouve à jouer de la musique d’ambiance puis à rejoindre un groupe musical (composé du célèbre chanteur John Legend) pour réellement survivre dans un monde laissant trop peu de place aux rêveurs. Il représente la musique dans sa forme la plus noble, celle qui vient du cœur, celle qui est un moyen de s’exprimer (allusion à la scène expliquant comment est né le jazz à la Nouvelle Orléans). Il soutient aussi Mia dans tous ses projets, et aussi lorsqu’elle voudra tout à abandonner. Une nouvelle fois, Ryan Gosling s’impose comme le meilleur choix possible pour le rôle. Il est impossible de rester insensible à son personnage et à son envie de reconnaissance et de vouloir enfin trouver sa place. Entre les soirées dans lesquelles il doit se contenter de singer une forme de musique populaire et un numéro simplement inoubliable sur un fronton de mer (City of Stars), son personnage représente bien les difficultés de vivre à Los Angeles loin du glamour qu’entretient cette ville dans nos représentations idylliques. De la même manière Emma Stone donne à son personnage Mia, tout le charme des héroïnes hollywoodiennes au destin tragique.

L’ouverture du film sur une autoroute (hommage à l’arrivée des forains dans Les demoiselles de Rochefort de Jacques Demy), plan-séquence virevoltant, jubilatoire, visuellement éblouissant et coloré de Los Angeles sous le son de l’entraînante et géniale Another Day of Sun, dévoile toute la maestria du jeune réalisateur de 32 ans. Les couleurs primaires justement sont au cœur de La La Land. Elles sont à l’origine de cette magie colorée et éclatante qui se manifeste tout au long du film. C’est cet outil qu’utilise Chazelle pour nous inciter à sympathiser avec les personnages. Au fur et à mesure que l’histoire progresse, les couleurs commencent à jouer un rôle central dans l’identité de chacun des 4 actes. Au début, le jaune est utilisé pour représenter l’optimisme que Mia commence à ressentir, elle passe d’une chemise blanche à un jaune épanoui la nuit où elle rencontre Sebastian. Les couleurs entrent en jeu (collision du jaune et du violet) pour traduire le lien qui commence à se développer entre eux. Le violet continue à rappeler leur relation, il illumine le ciel et les étoiles au-dessus de la ville et baigne la galaxie dans leur danse à l’Observatoire Griffith. Le jour suivant, Mia porte un peu de jaune sur son sac à main, comme si elle emportait avec elle le souvenir de la nuit dernière. Le rouge devient la couleur de Sebastian et de l’amour, une couleur qui commence à baigner Mia à mesure que ses interactions avec Sebastian deviennent plus intimes. Elle se retrouve rougeoyante à l’extérieur du restaurant où Sebastian joue pour la première fois leur mélodie Mia and Sebastian’s Theme. À partir de ce moment, le rouge commence à jouer un rôle dans les vêtements ou les accessoires qu’elle porte. Elle porte un sac rouge, une veste rouge et, alors qu’elle s’éloigne de son petit ami pour regarder La fureur de vivre avec Sebastian, les rues s’illuminent de rouge. Au point culminant de leur relation, ils sont complètement absorbés par le rouge, qui illumine tout, des murs de la pièce à leur visage et à leurs cheveux. Le vert s’oppose à tout l’optimisme et l’amour que les autres couleurs représentent ; il est utilisé avec parcimonie tout au long du film. Il raconte l’histoire de l’envie et de la cupidité. Ce n’est pas un hasard si la plus grande utilisation du vert traverse les rideaux pendant leur scène de dispute, où ils se rendent compte que leurs carrières respectives dérivent lentement sur des routes différentes. Mais ce n’est pas seulement l’utilisation des couleurs qui crée l’effet, l’absence de couleurs peut à elle seule dire mille mots en un. Ainsi, au début du troisième acte, au moment où l’amour dans leur relation commence à décliner, les couleurs vives commencent à s’estomper. Cela provoque un changement de tonalité, passant de la magie de Los Angeles avec ses robes éclatantes et ses grandes danses à une nouvelle réalité bien ancrée où toute la représentation des couleurs n’existe plus. Ils se séparent et empruntent des chemins différents, seuls. Lorsque la pièce de Mia échoue, les couleurs sont fixées en gris et en noir. Ici, les couleurs peuvent nous dire que la personnalité de Mia, autrefois pleine de rêves et de vie, a changé. Lorsque l’acte final commence, les couleurs qui illuminaient leur vie ont disparu. Sebastian porte une chemise marron tandis que Mia porte une robe blanche, tous deux ayant trouvé le succès, mais l’un sans l’autre. Puis vient la séquence finale où ils rêvent d’une fin différente à leur relation et où les couleurs reviennent, ce qui la rend d’autant plus spéciale. Elles reprennent vie. Toutes les nuances de rouge, de bleu et de jaune chantent tout au long de l’épilogue. Les couleurs qui sont restées absentes pendant les 5 années d’intervalle éclatent maintenant à l’écran et peignent chaque scène avec le brillant espoir enfantin du début. La magie revient une dernière fois. Elle crée la fin parfaite et déchirante qui englobe entièrement le film grâce à l’utilisation des couleurs utilisées de manière signifiante. Alors que la chanson se termine et que Mia et Sebastian se regardent pour la dernière fois, une couleur significative de leur relation les entoure à nouveau : le violet. Un final qui, sur le fond, est remarquable d’intelligence et de subtilité, évitant aussi bien les pièges du happy end qu’on a l’habitude de voir dans les romances et fait immédiatement de La La Land un film culte. Un film culte pour les fans de jazz, pour les amateurs de vieux films visionnés dans des salles à moitié vides, pour les amoureux de Emma Stone et de Ryan Gosling, pour les amoureux de Los Angeles et de Paris.

En conclusion, La La Land est incontestablement un grand classique de l’histoire du cinéma et parvient à donner ses lettres de noblesse aux films musicaux, fait une déclaration d’amour inconditionnel au 7ème Art et confirme le génie incroyable de Damien Chazelle qui entre ainsi dans la cour des grands avec cette oeuvre à la fois poétique, endiablée, émouvante, aussi mélancolique qu’euphorisante.

Inès Jouini, 1ère Hatchepsout.

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