Rencontre, mariage, famille, fin de vie. Tel est le schéma caricatural des relations amoureuses de long terme. Pourtant aux États-Unis, un divorce est prononcé toutes les 13 secondes, et l’on estime que 50% des unions se finissent de la sorte. Il n’est donc pas étonnant que cela devienne presque banal qu’un couple annonce révoquer son mariage. Dans Marriage Story de Noah Baumbach (2019), nous suivons Nicole et Charlie, couple d’artistes américains, alors qu’ils naviguent ce fleuve turbulent qu’est le divorce. Embarqué dans l’intimité quasi totale des personnages, le spectateur peut enfin voir derrière le voile des préjugés sur le sujet et découvrir la complexité de ce qu’est le mariage. Trop souvent, on se dit que divorcer veut dire que l’amour a été réduit en cendres, alors que la flamme passionnelle continue de brûler et de laisser des cicatrices, et que la fumée suffoque tous ceux qui s’en approche d’un peu trop près.

Le film s’ouvre sur le visage d’une femme qui sort de la lumière, et même si on ne le comprend que bien plus tard dans le récit, c’est bien de là que toute l’intrigue part : le vœu de sortir de l’ombre. Puis, la voix d’un homme commence à énoncer une liste de raisons pour laquelle il aime Nicole, que l’on devine être la femme. Sur fond de voix off, la vie du couple s’étale devant nos yeux, un florilège de souvenirs en apparence merveilleux. S’ensuit l’éloge que fait Nicole de Charlie, son mari. Nouveaux souvenirs, nouvelle liste de qualités qui semble infinie et qui émeut presque tant elle est remplie d’amour sincère. Et pourtant, la réalité revient au galop, et l’on se retrouve dans la salle d’un psychologue matrimonial. Car oui, Charlie et Nicole se séparent. Cette fatalité établie, le film va pour autant transporter le spectateur dans un roller coaster d’émotions et de sentiments dont un se détache plus que les autres : l’amour.

Dans ce drame romantique, Adam Driver et Scarlett Johansson se partagent l’écran en tant que ex mariés et nous offrent une prestation inouïe, davantage sublimée par les choix de mise en scène du réalisateur. En effet, rien ne semble anodin dans la manière avec laquelle la caméra suit les personnages. Lors des scènes de tension, les plans sont serrés sur leurs visages et nous permettent de capter chaque centimètre de leurs expressions. Des plans-séquences font ressentir la lourdeur de cette expérience qu’ils sont en train de vivre, et à quel point elle semble remettre en question toute leur histoire. Mais ce qui frappe le plus reste les jeux de regards. À travers tout le film, les gens se regardent, regardent dans la même direction, regardent dans la direction inverse, s’observent. C’est presque comme si les yeux portaient un message fort que les mots.
On comprend ainsi que malgré tous leurs efforts pour s’émanciper l’un de l’autre, Charlie et Nicole n’ont d’autres choix que d’être en accord sur certains points, en particulier sur celui de leur fils, Henry. Souhaitant protéger leur fils coûte que coûte, les deux adultes tentent de régler leurs différends en faisant le moins d’éclaboussures possible. Mais pour le jeune garçon deux vies bien distinctes s’offrent à lui : la vie chez sa maman, et la vie chez son papa. Si la démarcation est évidente pour lui, elle l’est également pour le spectateur grâce à la colorimétrie. À New York les teintes sont froides, parfois même avec des sous teints verts et bleus, faisant écho aux rues remplies de buildings, tandis qu’à Los Angeles les couleurs sont plutôt chaudes avec des sous tons orangés, rappelant presque la plage. De manière générale, Nicole est plus souvent représentée dans la lumière que Charlie, une autre séparation s’ajoutant à la liste incessante des raisons pour lesquelles ils ne sont plus en alignement.
Par ailleurs, il n’y a aucune prise de parti faite entre les deux parents, chacun d’eux est présenté avec ses qualités et ses défauts, sans qu’aucun ne soit représenté comme le réel fautif du divorce. De plus, on ressent constamment que Nicole et Charlie tiennent toujours l’un à l’autre, ne serait-ce que par des petites actions qui pourraient paraître anodines pour certains mais qui résonnent chez le spectateur tant elles sont en opposition avec les mots durs prononcées par chacun d’eux. Le public oscille entre le point de vue de Henry, lui qui voit majoritairement ses parents sous leurs meilleurs jours, et celui des adultes qui eux vivent une expérience terrible et doivent faire face à un système fiscal indécent et bourré d’hypocrisie. Du côté des autres personnages, ils reflètent également la complexité de cette situation et la manière avec laquelle elle impacte la famille et les proches des concernés. La mère de Nicole est frustrante par son constant besoin d’aider et de garder un lien avec Charlie, mettant de côté les demandes de sa propre fille. Henry lui n’est pas l’image enjolivée de l’enfant vivant un divorce, il reste lui-même, ne cherchant pas à plaire à ses parents ou à changer leur avis sur la situation. Il se plaint, râle, un enfant tout ce qu’il y a de plus banal et loin d’être parfait. Les avocats respectifs de Charlie et Nicole respirent la manipulation et font peser sur eux la pression du système dont ils n’ont aucune connaissance, ne leur laissant d’autre choix que leur accorder entière confiance.
En somme, le film en lui-même surprend par son réalisme et son naturel. Les acteurs jouent si bien que l’on se retrouve plongé à leurs côtés dans une valse meurtrière où chaque pas en avant peut plonger leur cœur dans une douleur intense. L’absence quasi totale de musique crée une atmosphère suffocante où chaque mot porte son poids, et les violons occasionnels ajoutent à l’émotion déjà palpable. De plus le montage fait ressortir le rythme particulier de leur train de vie : les plans s’enchaînent lors des disputes et des scènes tendues, et la caméra tourne en continue durant de longues minutes où Scarlett Johansson saisit par son interprétation poignante d’une actrice en prise aux dérives de la notoriété et de son compagnon.
Le film se termine sur une scène presque frustrante, puisqu’après tant de souffrance et de compassion ressenties pour les personnages, la situation semble ne pas avoir évolué. Pourtant après réflexion on réalise tout le chemin invisible parcouru par les deux parents, et la nouvelle nature de leur relation. Et en réalité, le voyage n’est-il pas plus important que la destination ?
Lou-Anne Torond, Terminale Sekhmet
