Tatami : Quand le sport devient un acte de résistance

Sélectionnée pour décerner le Prix Jean Renoir des Lycéens, la classe de Terminale CAV se doit de voir six films pré-sélectionnés et de réaliser un travail de critique quasi pro sur chacun de ces films. Tatami, présenté au dernier festival de Venise, est le premier film vu. Et le moins que l’on puisse dire c’est le groupe a été fortement marqué par cette première projection. Inès se fait la porte-parole des échanges qui ont suivi le film dans un texte lui-même marqué par la sincérité de son engagement critique…

Remarquable par un noir et blanc et un style qui ne sont pas sans rappeler La Haine de Mathieu Kassovitz et surtout l’exceptionnel Raging Bull de Martin Scorsese, Tatami, réalisé par Guy Nattiv et Zar Amir Ebrahimi en 2023 et sortie en France le 4 septembre 2024, raconte l’histoire d’une judoka iranienne appelée Leila et de son entraîneuse Maryam qui se rendent au championnat du monde de judo (à Tbilissi) avec l’intention de ramener la première médaille d’or de l’Iran. Au milieu de la compétition, elles reçoivent un ultimatum de la République islamique ordonnant à Leila de simuler une blessure et de perdre face à une potentielle adversaire israélienne. Sa liberté et celle de sa famille étant en jeu, Leila est confrontée à un choix impossible : feindre une blessure et se plier au régime iranien, comme Maryam l’implore de le faire, ou les défier tous les deux et continuer à se battre pour remporter l’or.

Ici les deux réalisateurs unissent leurs talents pour bâtir un thriller sportif et politique afin de dénoncer le machiavélisme du gouvernement iranien qui, au cours des dernières décennies, a tout fait pour empêcher les rencontres entre Iraniens et Israéliens. Ainsi, dès la scène d’ouverture, une colorimétrie noire et blanche, un bus rempli d’athlètes féminines et puis on se fait emmener vers une femme, casque sur les oreilles écoutant à fond du rap iranien, le duo de réalisateurs montre déjà un avant-goût du point de vue qui va être adopté – celui de Leila : son combat sportif, sa bataille de femme qui veut sa liberté – et comment celui-ci va être transmis.

Le film est construit comme un huis-clos à la fois glaçant et étouffant, qui nous dévoile aussi les coulisses d’une compétition. Par exemple dans une scène, avant qu’elle commence à combattre ses adversaires, Leila se déshabille pour pouvoir se peser et donc voir si elle a le bon poids, malheureusement quelques grammes sont de trop, alors en 20 minutes elle va devoir pédaler sur un vélo électrique jusqu’à perdre ses kilos en trop. La scène est terrible, à la fois malaisante et en même temps on se sent en apnée. Pareillement, la scène où elle se claque la tête sur le miroir est juste tout bonnement impressionnante et illustre bien le fait que le combat que mène Leïla est aussi un combat intérieur. Et tout le long du film cette impression se répète : on respire avec elle, on est pieds nus avec elle sur les tatamis, on souffre avec elle, on ressent de la colère lors des disputes, et on ressent de l’inquiétude lors de tragiques nouvelles. 

Dès les premières images, le spectateur est plongé au cœur de l’action principale du film : une arène de judo où chaque combat se transforme en sorte de « scène de théâtre », alors oui, Tatami peut paraître long et répétitif dans son premier tiers mais lorsque l’action commence à se mettre en place, elle est de plus en plus vorace. Pour revenir aux choix de la colorimétrie, le noir et blanc n’est pas anodin ; ici, Il accentue la tension palpable de chaque mouvement, la couleur aurait en quelque sorte adoucit les contrastes, mais ici, tout est question de choix binaires : résister ou céder, combattre ou fuir. C’est une représentation brute et sans détour de la réalité à laquelle font face les femmes en Iran : une vie où chaque action est scrutée, où chaque geste est potentiellement une menace pour l’ordre établi. Leila (interprétée par la talentueuse Arienne Mandi) se retrouve sur le tatami non seulement pour défendre ses chances dans une compétition sportive, mais aussi pour affirmer son droit à exister en tant que femme libre de ses propres choix. Cette double lutte rend le récit si puissant : le tatami devient un champ de bataille où il se joue bien plus qu’une victoire sportive. La pression exercée sur Leila par le régime iranien pour qu’elle se retire du tournoi ou perde volontairement est la même qui pèse sur toutes les femmes qui osent défier les conventions du pays.

L’autre point fort de film, c’est son ambiance sonore de Tatami : elle est plutôt discrète, presque minimaliste. C’est si vrai que le silence joue un rôle prépondérant dans le film, accentuant l’atmosphère oppressante. Lorsqu’il y a de la musique, celle-ci est utilisée avec parcimonie, permettant de souligner des moments de tension ou de soulagement sans jamais prendre le dessus. Les choix musicaux et sonores servent le propos du film en renforçant la sensation d’enfermement et en mettant en avant les émotions brutes des personnages et le fait qu’il n’y ai pas autant de musique, plus le choix de la colorimétrie, symbolisent parfaitement les thèmes abordés dans le film (notamment les morceaux de rap comme symboles de liberté).

Tatami est un film bouleversant, percutant et qui fait preuve d’une intensité exceptionnelle qui ne peut pas laisser indifférent. C’est LE combat de deux femmes contre tout un pays et son pouvoir d’oppression politique et, le plus remarquable c’est qu’il montre que le courage peut être contagieux et, en cela, il donne une formidable note d’espoir. 

Inès Jouini, Terminale Hathor

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