Le Troisième Homme de Carol Reed ou le génie de la réalisation

En 1999, le British Film Institute (BFI), place Le Troisième Homme, The Third Man en anglais, à la tête de son classement des 100 meilleurs films britanniques du XXème siècle. Ce n’est d’ailleurs pas la seule distinction qu’a reçu ce film, puisqu’il a obtenu, dès sa sortie en 1949, le Grand prix du festival de Cannes (ancêtre de la palme d’or) ainsi que d’autres prix tous aussi prestigieux. Le Troisième Homme est, encore aujourd’hui, une référence mondiale pour sa réalisation novatrice et intelligente qui inspire de nombreux cinéastes contemporains. Mais alors, est-ce que le Troisième Homme mérite-t ’il toujours ce piédestal ? Vaut-il le coup d’être vu si longtemps après sa sortie ? C’est ce que nous allons voir !

En 1948, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Vienne est séparée en quatre secteurs occupés par les forces alliées : les Américains, les Britanniques, les Français ainsi que les soviétiques. Holly Martins, un Américain naïf, arrive dans cette ville dont il ne connaît rien pour retrouver son ami d’enfance, Harry Lime. Celui-ci est resté à Vienne pendant la guerre et a participé, comme beaucoup de personnes durant, cette période difficile, à toutes sortes de trafics pour survivre. Mais en se rendant au domicile de Harry, quelle n’est pas sa surprise d’apprendre que ce dernier est mort quelques jours auparavant, fauché par une voiture, et qu’il est inhumé le jour-même. Mais, Holly est peu convaincu par la version donnée par les deux témoins de l’accident, qui se présentent comme des amis proches de Harry. Il décide alors de mener l’enquête lui- même et découvre l’existence d’un mystérieux troisième témoin de « l’accident ». Il se lance alors dans un jeu de piste pour retrouver cet homme qu’il nomme désormais : le troisième homme…

Tout d’abord, Le Troisième Homme est un film novateur qui reprend les codes du film noir, un genre cinématographique très populaire après la Seconde Guerre mondiale. Les cinéastes de l’époque ont la volonté de décrire la réalité sombre de l’Homme et de se positionner à l’opposé de l’héroïsme du cinéma d’action hollywoodien. Si Carol Reed se place dans la continuité de ses contemporains en s’attaquant, lui aussi au film noir, il se démarque en offrant une réalisation dont il soigne chaque détail. Il plonge le spectateur dans une ambiance sombre et déroutante. Pour ce faire, Reed reprend le plan cassé, une technique fréquemment utilisée dans le cinéma expressionniste allemand dont le film noir s’inspire énormément. Celle-ci consiste à incliner la caméra de telle sorte que le plan soit de travers. Il était très populaire chez les réalisateurs allemands pour désorienter le spectateur et lui faire ressentir l’horreur d’un monde en changement. On peut notamment retrouver cet effet dans le célèbre Metropolis (1927) de Fritz Lang. Ici le plan cassé intrigue le spectateur, peu habitué à cet effet, le poussant à se questionner sur sa signification. Il permettrait peut-être de créer un subtile “foreshadowing” sur l’intrigue du film : l’inclinaison de la caméra laisserait entendre que tout va de travers dans cette histoire et qu’elle ne va pas se dérouler comme on pourrait l’imaginer.

La réalisation de Carol Reed met également en valeur l’atmosphère mystérieuse d’une Vienne en ruine. Le réalisateur joue avec ce décor postapocalyptique créant une connexion particulière avec ce lieu, comme peu de films ont su le faire. Nombreux sont les plans en extérieur dont l’austérité des lieux est soulignée par un noir et blanc maîtrisé à la perfection, ainsi qu’un jeu d’ombres et de lumières pleins de sens.  Si la Vienne qui nous est présentée se démarque majoritairement par des bâtiments en ruine, les grandes constructions anguleuses qui subsistent rappellent les films expressionnistes, caractérisés par des contrastes forts. C’est d’ailleurs par une géométrie omniprésente tout au long du film, que Carol Reed prouve son génie de la perspective. La profondeur des plans est soulignée par des scènes de courses-poursuites dans la ville où la perspective conduit l’œil du spectateur jusqu’à un point de fuite au loin, accentuant ce climat énigmatique. Les plans larges permettent d’apporter une idée de grandeur dans cet environnement quasi-désert qui est complètement inconnu pour Holly Martins. Comme un tableau de la Renaissance, Reed permet au spectateur de voir chaque élément du décor comme s’il voulait qu’il ait accès à tous les indices permettant d’élucider le mystère. Pourtant le protagoniste, lui, ne parvient pas à rassembler le puzzle, lui donnant une vue partielle de la vérité.

Cette analyse reste partielle et il est difficile d’évoquer chacun des aspects qui font du Troisième Homme un véritable chef-d’œuvre. Il conviendrait parler du thème musical signé Anton Karas qui contraste, par sa légèreté, avec l’atmosphère pesante du film. Nous n’avons pas parlé non plus du jeu d’acteur formidable de Joseph Cotten (Holly Martins) et de Allida Valli (Anna Schmidt). Comment ne pas mentionner Orson Welles (Harry Lime), qui domine ce film tant par sa présence que par son absence et qui livre une performance inoubliable. Le Troisième Homme est à mon sens parfait en tous points et mérite totalement sa première place parmi les meilleurs films britanniques du XXème siècle. Mais ce que ce film mérite le plus c’est d’être vu. Alors si vous êtes cinéphile, qu’attendez- vous ?

Colombe Persyn, 1Touya

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