L’année 2025 pourrait bien être celle du cinéma iranien : en effet, quelques jours après l’attribution de la Palme d’or à Un simple accident de Jafar Panahi, voilà que les élèves engagés dans le Prix Jean Renoir des lycéens ont décidé de couronner Tatami, film sorti sur les écrans français en septembre de l’année dernière. Le lycée Mariette a eu la chance et l’honneur de pouvoir envoyer deux ambassadeurs, Lou-Anne et Achille, du groupe de Terminale CAV. Ils ont participé aux délibérations et à la cérémonie de remise du prix. Ils nous font part de leur expérience, forcément marquante et inoubliable.

Pouvez-vous dire aux lecteurs de « Marietteenactions », quelle était la raison de votre présence à Paris les 27 et 28 mai dernier ?
Achille : Eh bien, on était deux jours à Paris parce qu’on a été sélectionné comme juré du Prix Jean Renoir des lycéens, compétition à laquelle on a participé au cours de cette année scolaire pendant laquelle on a visionné six films. On a dû voir, analyser, juger et classer 6 films sélectionnés au préalable par un collège de professionnels et ainsi désigner notre vainqueur et le défendre auprès des autres classes participant à cette manifestation.
Vous aviez été désignés par vos camarades ?
Achille : Oui, c’est ça, il y quelques semaines déjà.
Il y avait beaucoup de monde ? Beaucoup de lycées ?
Lou-Anne : Les organisateurs ont dit qu’il y avait à peu près 50 lycées et 1300 élèves participant au Prix Renoir, mais aujourd’hui on était environ 80 élèves venant des quatre coins de la France métropolitaine (de Marseille à Boulogne-sur-Mer ou Calais, de Toulouse à Chambéry)… et aussi ultramarine.
Ok, et c’était dans quel lieu à Paris ?
Achille : C’était à la Fémis…
Lou-Anne : La plus grande école de cinéma et de l’audiovisuel située dans le 18e arrondissement. Avec, chaque année, une seule promo de 40 élèves sur environ 1500 candidats.

Pour entrer dans le vif du sujet, est-ce que vous pouvez dire quel a été le programme de ces deux journées ? J’imagine que ça a dû être un peu intense, non ?
Achille : Le 1er jour, on est arrivé, et après avoir revu la bande-annonce de tous les films en compétition, on a assisté à des séances de questions-réponses entre les élèves et les représentants de chacun des six films. Par exemple, pour La plus précieuse des marchandises, on a pu échanger avec Michel Hazanavicius, le réalisateur. Pour L’histoire de Souleymane, c’était Boris Lojkine, lui aussi réalisateur. Pour Vingt dieux, on a eu Louise Courvoisier, la réalisatrice, avec laquelle on a pu échanger après et pris une photo. Il y a eu une pause. On a repris et on a rencontré Zar Amir, l’actrice et co-réalisatrice de Tatami et ensuite, on a rencontré les distributeurs de Black Dog et Bird. Une fois terminés ces échanges, on a été répartis en quatre groupes : c’était la première étape des délibérations. Le but était alors de procéder à l’élimination de trois films.



En présence des enseignants qui vous avez encadré pendant toute l’année ?
Achille : Non, en leur absence. On a travaillé seuls.
Et comment était organisé ce 1er tour de délibération ?
Lou-Anne : Il y avait un modérateur ou une modératrice par groupe qui avait le rôle de répartir la parole. Au début, peu de personnes prenaient la parole, mais au fur et à mesure des délibérations, la parole s’est libérée et, le 2ème jour on a fait circuler un bâton de parole. Enfin, c’est comme ça que ça s’est passé dans mon groupe, car Achille et moi n’étions pas dans le même groupe.
En tant qu’ambassadeur/ambassadrice de vos camarades, vous défendiez un film en particulier, ou un ou plusieurs coups de coeur personnels ?
Achille : Nous défendions un film particulier, celui pour lequel nos camarades avaient voté, c’est-à-dire Black Dog du réalisateur chinois, Guan Hu. Sauf que dans nos deux groupes respectifs, le film a été éliminé dès le 1er tour. Du coup, on s’est rabattus sur les autres films de notre top 3 à savoir L’histoire de Souleymane et La plus précieuse des marchandises.
Lou-Anne : Il se trouve que Black Dog était aussi notre coup de cœur personnel, donc ça tombait bien.
Comment était organisée la 2ème journée de délibération ?
Lou-Anne : Nous nous sommes retrouvés le lendemain matin (mercredi). Cette fois ci on n’a pas procédé par élimination, mais on a classé les 3 films encore en lice, qui était, dans mon groupe, L’histoire de Souleymane, Tatami et La plus précieuse des marchandises.
Achille : Dans mon groupe, c’était pareil.
Lou-Anne : A l’issue de ces délibérations, un classement a été opéré. On a enfin désigné 2 délégués pour constituer le comité final.
C’est donc ce petit cercle restreint de 8 personnes qui ont pris en charge le 3ème tour des délibérations ?
Achille : Oui, on s’est retrouvés dans ce que je pense être le bureau de la directrice de la Fémis. On a débattu encore un peu et on a déterminé le vainqueur. Un camarade et moi avons réussi à faire remonter le film de Boris Lojkine dans le classement, à la 2ème place.
Finalement, quel a été le grand vainqueur ?
Achille : C’est Tatami.

Que pouvez-vous nous dire de Tatami ? Et pouvez-vous dire aussi les raisons pour lesquelles ce film a emporté, au final, l’adhésion des jurés ?
Lou-Anne : Alors, Tatami est un thriller politique qui raconte l’histoire d’une jeune judokate, Leila Hosseini, qui subit des pressions de la part du gouvernement de la République islamique d’Iran pour abandonner la compétition à laquelle elle participe afin d’éviter de rencontrer une potentielle adversaire israélienne. La particularité de ce film c’est qu’il est le fruit d’une collaboration entre une actrice iranienne, Zar Amir, qu’on a eu la chance de rencontrer et un réalisateur israélien, Guy Nattiv. Ce qui fait sa force, c’est que les personnes dans le milieu artistique, ici, des gens de cinéma, s’unissent pour créer une « ode à la paix », comme Zar Amir l’a dit lorsqu’elle a reçu le prix. C’est un film porteur d’un message avec des choix esthétiques forts. Ce n’est pas juste un film politique, c’est un film avec une esthétique propre au niveau de la direction de la photo et des cadrages. Le film est inspiré de faits réels.
C’est-à-dire des sportifs iraniens contraints par le régime d’abandonner la compétition ?
Lou-Anne : Pendant les JO de Tokyo je crois, un athlète iranien, peut-être un judoka, a subi des pressions. Mais, comme Leïla, il a décidé de désobéir et de ne pas céder à ces pressions. Le choix est fort parce que même si Zar Amir n’était pas la seule réalisatrice en compétition (il y avait aussi Louise Courvoisier et Andrea Arnold), je crois que c’est la 1ère fois qu’une réalisatrice remporte ce Prix Renoir.
Est-ce que ce fut un élément déterminant pour l’attribution du prix ?
Achille : On a surtout évoqué le fait qu’un des thèmes forts du film est le féminisme. Alors forcément, le fait que ce soit une Iranienne en exil, opposée au régime, qui ait réalisé le film rendait le message encore plus percutant.
Si vous deviez résumer ce que vous avez retenu du projet en général, de ces deux journées en particulier, que diriez-vous ?
Achille : C’était une expérience incroyable. On a pu échanger avec des professionnels.
Lou-Anne : J’ai réussi à poser une question à Michel Hazanavicius (rires). Je garde surtout en mémoire la capacité du cinéma à rassembler des gens venant d’horizons différents, ayant une culture cinéphilique différente. J’ai trouvé ça beau que le Prix Renoir parvienne à battre en brèche l’idée qu’il faut être un spécialiste pour parler d’un film d’une part, et de décerner des prix d’autre part.
Évoquons l’avenir : vous venez de passer deux jours dans un des hauts de la cinéphilie et de la formation des professionnels du cinéma en France, est-ce que vous avez des projets d’étude et de travail dans le cinéma ? Est-ce que ça vous a donné des envies ? Ou bien conforté dans vos choix, si jamais vous aviez déjà prévu de faire des études dans le domaine de cinéma ?
Achille : En ce qui me concerne, j’ai été conforté dans mes choix puisque j’avais envisagé plusieurs parcours post-bac possible en lien avec le cinéma. Mais ça permet peut-être de mieux se projeter en voyant cette école, accessible à bac+ 2, certes après un concours assez rude, mais qui donne de l’espoir, du moins une perspective d’y arriver, une vision un peu plus globale sur les métiers du cinéma. Comme une immersion en somme.

Lou-Anne : Je connaissais déjà l’école depuis septembre. J’avais déjà la Fémis dans ma tête. Je pars en classes préparatoires littéraires pour continuer des études plus généralistes avant de me spécialiser dans le cinéma. Ces deux journées ont confirmé mon choix. Travailler dans le cinéma c’est ce que je veux vraiment faire. On a rencontré des étudiants de 3ème et 4ème années et aussi découvert le film de fin d’étude de Gauthier, étudiant de la Fémis dans la section réalisation. J’ai été émue parce que, dans ma tête, il n’y avait pas de doute sur le fait que je voulais faire la Fémis, mais c’est comme une pièce du puzzle qui s’est rangée. Et je sais que je me donnerai tous les moyens pour y entrer.
Entretien réalisé par monsieur Popu (à la gare du Nord).
