Entre liberté et culpabilité à Paranoid Park

Gus Van Sant, un réalisateur américain aux multiples casquettes, connu pour son cinéma indépendant avec des films comme Good Will Hunting en 1998 ou Harvey Milk en 2009, décide de se lancer dans une tétralogie. Après avoir réalisé Gerry en 2002, Elephant en 2003 et Last Days en 2005, il termine son projet en 2007 avec Paranoid Park. Ce film, adaptant le roman éponyme de Blake Nelson (publié en 2006), raconte l’histoire d’Alex, un adolescent lycéen fan de skateboard. Lorsqu’il décide d’aller à Paranoid Park, un skate-park réputé comme marginal et peu fréquentable, il est impliqué dans la mort d’un agent de sécurité. Le film parcourt les états émotionnels d’Alex après ce drame dévoilant ses souvenirs, ses craintes et ses tentatives pour faire face à la réalité.

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Dans Paranoid Park, Gus Van Sant livre le spectateur à une atmosphère onirique et envoutante. Le film impose une identité visuelle originale qui lui est propre. Chaque choix artistique est réfléchi, travaillé et apporte un vrai sens à la compréhension du film. L’esthétique des images semble refléter l’état psychologique du personnage principal. Tout le film est dans des teintes verdâtres un peu salies avec des images bruitées avec beaucoup de grain ce qui donne une impression d’image presque abimée qui pourrait représenter les pensées sombres d’Alex. Pour autant, ces images sont très agréables à voir car elles correspondent parfaitement à l’ambiance proposé par le film. De plus l’aspect novateur des scènes de Gus Van Sant renforce cette idée de chaos dans l’esprit du jeune adolescent accablé par les responsabilités. On nous propose des plans inhabituels par exemple les scènes où on voit les skateurs s’envoler au skate-park ou dans la rue exprimant une certaine légèreté semblant capturer l’envie de liberté et les pensées errantes d’Alex. 

En parallèle de son esthétique visuelle, Paranoid Park nous propose une identité sonore particulière et encore une fois très cohérente avec l’esprit du film. Le mélange entre musiques expérimentales, sons inhabituels et musiques de multiples genres instaure une ambiance à la fois rêveuse et troublante qui reflète la confusion d’Alex. La bande son renforce l’impact émotionnel et la réflexion de culpabilité. La musique accompagne le rythme du film permettant au spectateur de se plonger pleinement dans la tête du personnage principal et de comprendre toutes les étapes par lesquelles il passe pour essayer de gérer un si gros choc émotionnel.

Sur le plateau de tournage, Christopher Doyle, chef opérateur, et Gus Van Sant, réalisateur et monteur du film

Dans Paranoid Park, chaque personnage est très bien développé, ce qui permet de s’y attacher et même de s’identifier à eux. Chaque personnage a un but et une utilité dans la narration du film, aucun d’entre eux semble inutile ou incohérent. L’empathie qu’on éprouve face à ces personnages est en partie due aux jeux d’acteurs remarquables de chacun des jeunes. La prestation de Gabe Nevins dans le rôle d’Alex met parfaitement bien en scène le jeune lycéen perturbé ne voulant pas passer à l’âge adulte. Lauren McKinney et Taylor Momsen (de la série Gossip Girl) interprètent à merveille les figures féminines de Macy et Jennifer que tout semble opposer. Pour autant, les personnages ne sont pas caricaturaux et correspondent très bien à la réalité du monde adolescent grâce à un jeu d’acteur naturel et authentique.

Macy et Alex…

Paranoid Park est aussi unique en raison de son montage et du traitement de la temporalité. Le spectateur voit le film dans l’ordre des souvenirs d’Alex. La narration n’est donc pas du tout linéaire. Les souvenirs d’Alex sont mélangés et confus donc les scènes du film n’arrivent pas dans l’ordre chronologique ce qui permet d’être encore plus en immersion dans la tête d’Alex et d’amplifier le désordre de son état mental. Le passé, le présent et le futur sont confondus, on voit parfois plusieurs fois la même scène sous différents angles et point de vue, nous apportant plus de détails sur la scène en fonction de la remémoration d’Alex. Cette narration originale rend le film d’autant plus intriguant car on doit rester bien concentré pour bien comprendre l’histoire.

Enfin, le traitement des sujets abordés est remarquable. Paranoid Park traite de beaucoup de sujets en même temps et apporte un questionnement sur différents thèmes en même temps. L’adolescence sous toutes ses formes est au cœur du récit. On nous montre la difficulté des relations humaines dans un milieu populaire mais aussi et surtout la difficulté du passage à l’âge adulte et la prise de responsabilité soudaine d’un jeune en plein développement. Les sujets de la culpabilité et de la gestion des responsabilités sont ici traités à travers le meurtre involontaire d’un agent de sécurité mais ils peuvent refléter une réalité présente dans la vie des jeunes. Le film apporte une réflexion sur le poids des choix et des erreurs. On nous montre aussi la marginalité et la recherche d’identité d’un jeune assez isolé de son entourage. Tous ces sujets pourtant très complexes sont traités sans jugement ce qui rend le film poétique et délicat.

Paranoid Park de Gus Van Sant est un film audacieux qui explore les thèmes de la culpabilité, de l’isolement, du passage à l’âge adulte et de la recherche d’identité à travers la vie mouvementée d’un adolescent en crise. Avec une esthétique visuelle onirique et captivante et une bande son envoutante, le film réussit à immerger le spectateur dans l’état mental d’Alex montrant réellement sa détresse émotionnelle. Sa narration non chronologique pourrait dérouter certains, mais ces choix artistiques renforcent l’impact émotionnel de l’histoire et permettent de se projeter complètement dans le personnage complexe d’Alex.

Julia Bathélémy, Terminale Neith

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