
L’Histoire de Souleymane est une œuvre qui transcende les conventions du cinéma pour plonger le spectateur dans une expérience quasi-documentaire. Dès les premières images, le réalisateur fait le choix d’une mise en scène dépouillée, où l’authenticité des situations et la force brute des émotions priment sur tout artifice. Ce récit, construit autour d’un long flashback, explore avec une rare finesse le parcours de Souleymane, un jeune homme confronté à des choix déchirants et à une réalité souvent impitoyable.
Le flashback, qui structure tout le film, n’est pas ici un simple outil narratif destiné à surprendre ou à intriguer, même si le film prend des allures de thriller social. Il est utilisé pour dévoiler progressivement les différentes couches de l’histoire de Souleymane, tout en laissant planer un sentiment de fatalité. Le spectateur découvre les événements marquants de sa vie avec une lenteur calculée, qui permet d’en apprécier chaque détail et chaque nuance. Cette construction temporelle donne au film une profondeur supplémentaire, en soulignant le poids du passé et la manière dont il façonne le présent du personnage principal.
Visuellement, le film adopte un style minimaliste et immersif, qui s’appuie sur des plans-séquences et des plans longs d’une intensité remarquable. Ce choix est loin d’être anodin : il offre au spectateur une plongée directe dans l’univers de Souleymane, sans interruption ni détour. Les plans-séquences permettent d’observer les scènes dans toute leur durée, laissant chaque moment se déployer naturellement. Qu’il s’agisse d’un échange tendu dans une rue animée, d’une dispute familiale dans un espace exigu ou d’un instant de solitude contemplative, chaque plan semble capturer une vérité brute, sans jamais forcer l’émotion.
Ce réalisme est renforcé par une écriture des personnages qui refuse tout manichéisme. Souleymane, au centre du récit, est un personnage complexe, ni héros ni anti-héros. Ses actions, ses erreurs, et ses dilemmes sont dépeints avec une humanité désarmante. Il en va de même pour les personnages secondaires : qu’il s’agisse de sa famille, de ses amis, ou des figures d’autorité qu’il rencontre, tous sont présentés sous un prisme nuancé. Personne n’est entièrement bon ou mauvais, et c’est précisément cette vérité qui rend les interactions entre les personnages si poignantes.
Un autre choix audacieux du film est l’absence totale de musique additionnelle. Dans un cinéma souvent saturé de bandes-son qui dictent les émotions à ressentir, cette décision donne à L’Histoire de Souleymane une dimension rare. Le silence, les bruits ambiants, les voix et les sons naturels deviennent les seuls accompagnements sonores. Ce dépouillement amplifie l’impact des scènes, en laissant le spectateur seul face à l’image et au jeu des acteurs. Sans musique pour orienter les sentiments, chaque moment est laissé à l’interprétation, et les émotions naissent naturellement, sans manipulation.
Cette économie de moyens, ce refus des artifices, donne au film une puissance brute. Il ne cherche jamais à en mettre plein la vue, mais préfère capturer la vie dans son dépouillement. Ce parti pris, souvent proche du cinéma-vérité, pourrait sembler austère pour certains spectateurs habitués à un rythme plus soutenu. Pourtant, c’est précisément cette lenteur, ce soin accordé aux détails, qui rend le récit si immersif.
L’Histoire de Souleymane aborde des thématiques universelles : la quête d’identité, le poids des origines, les rapports familiaux, et les choix moraux face à des circonstances oppressantes. Mais jamais le film ne tombe jamais dans la moralisation ou le pathos. Les dilemmes sont montrés, non expliqués. Les conséquences sont vécues, non dramatisées. Ce refus de simplifier les enjeux ou de livrer des réponses toutes faites invite le spectateur à réfléchir, à ressentir, et à se projeter dans les situations du personnage principal.
L’Histoire de Souleymane est bien plus qu’un simple film. C’est une immersion totale dans une vie, dans un parcours, dans une série de choix dont l’écho résonne bien au-delà de l’écran. Par son écriture subtile, sa mise en scène épurée, et son absence de manipulation émotionnelle, le film offre une expérience rare, presque méditative, où chaque image et chaque silence laissent une empreinte durable. Une œuvre incontournable pour les amateurs de cinéma authentique et engagé.
Olivia Piquet, THathor
