L’enlèvement de Marco Bellochio : la loi du Vatican

Présenté lors du dernier Festival de Cannes, en sélection officielle, L’Enlèvement est le nouveau film de Marco Bellochio, réalisateur italien, fringant octogénaire, à la tête d’une filmographie imposante entamée à l’aube des années 60, qui a été jalonnée de succès éclatants (Le saut dans le vide ou plus récemment Vincere et Le traitre) et de propositions moins convaincantes (qui se souvient de La sorcière avec Béatrice Dalle ?).

Ce nouveau film s’inscrit dans la veine historico-politique qu’affectionne particulièrement le réalisateur et dans laquelle il s’est récemment (et brillamment) illustré avec la série Esterno Notte (2022) qui revient sur l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, ancien premier ministre et symbole de la démocratie chrétienne en Italie. Toujours prompt à dénoncer les mécanismes de l’emprise qu’exercent tous types d’institutions sur les corps et les âmes d’individus sacrifiés sur l’autel du pouvoir, cette fois-ci c’est à l’Église qu’il s’en prend à une époque (le milieu du XIXe siècle) où les États pontificaux ne se réduisent pas à la seule enclave romaine. L’action se déroule, en effet, en grande partie à Bologne avant la conquête par les armées du roi d’Italie Victor-Emmanuel II qui poursuit le processus d’unification de la péninsule italienne. Décrite comme une sorte de « monstre totalitaire précoce », l’Église use (et abuse ?) encore de la « Sainte Inquisition » pour traquer les jeunes Juifs convertis, souvent à leur insu lors de baptêmes « accidentels » mais licites selon la loi canonique si l’on craignait pour la vie de l’enfant, et qui ont fait d’eux des chrétiens que l’Église se charge d’éduquer en les arrachant à leur famille. La pratique était courante et perdura jusqu’au milieu du XXe siècle : elle concernait alors surtout des enfants juifs cachés pendant la guerre (ce fut le cas notamment de Robert et Gérald Finaly).

Le film, quant à lui, revient sur l’affaire Mortara qui a défrayé la chronique au milieu du XIXe siècle quand le petit Edgardo, baptisé en secret par la bonne de la famille, est arraché à ses parents pour être emmené à Rome… Telle était alors la loi du Vatican et celle de Pie IX, pape tout autant réactionnaire qu’autoritaire. Porté par une mise en scène d’une grande maîtrise formelle, le film trouve sa force autant dans l’analyse des prolongements de cet enlèvement qui bouleverse à jamais le destin d’un enfant et sa famille confrontés à l’antijudaïsme traditionnel de l’Église que dans la manière d’interroger (à la fin du film) la radicalité d’un endoctrinement religieux qui fait douloureusement écho à l’actualité du monde contemporain.

Éric Popu

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